Concessions d’électricité : qui est le patron, vraiment ?
« Ne pas intervenir dans la gestion de l’exploitation » : une phrase qui fait débat
Vous êtes-vous déjà demandé qui gère les poteaux électriques et les câbles dans votre rue ?
En France, c’est une affaire de partenariat entre votre collectivité et un gestionnaire de réseau. Un partenariat encadré par un document bien précis : le cahier des charges de concession. Mais un article de ce document sème souvent la confusion, voire la discorde. Décryptons ensemble cette petite phrase qui a de grands effets : « ils ne peuvent en aucun cas intervenir dans la gestion de l’exploitation ».
Une délégation de service public, pas un partenariat privé
D’abord, un petit rappel des rôles. En France, les communes sont propriétaires des réseaux de distribution d’électricité. Elles délèguent leur gestion à un opérateur, le plus souvent Enedis ou un distributeur non nationalisé, via un contrat de concession. Pour s’organiser, les communes se regroupent en syndicats ou en métropoles, appelées Autorités Organisatrices de la Distribution d’Électricité (AODE).
C’est ce fameux cahier des charges qui définit les règles du jeu :
- L’AODE contrôle le service, peut financer ou cofinancer certains ouvrages, et participe à la validation des investissements proposés par le concessionnaire.
- Le concessionnaire exploite et entretient le réseau, gère les raccordements, suit
les flux d’électricité et investit dans le renouvellement, le raccordement et le renforcement des ouvrages, tout en garantissant la qualité du service.
Un modèle national existe pour harmoniser ces relations. Mais l’article 44 de ce modèle est une source de tension récurrente.
Le contrôle, oui, l’ingérence, non
L’article 44 est très clair : l’AODE a le droit de désigner des agents de contrôle pour vérifier que tout est en ordre. Ces agents peuvent demander des comptes, des documents et un rapport d’activité annuel. Jusque-là, tout va bien. Mais l’article ajoute cette phrase cruciale : « Ils ne peuvent en aucun cas intervenir dans la gestion de l’exploitation ».
Que cela signifie-t-il concrètement ?
C’est la ligne rouge à ne pas franchir.
Ce que l’AODE peut et doit faire :
- Disposer du bilan annuel de la concession (contrôle patrimonial et financier).
- Demander les indicateurs de qualité de service et de performance de la concession.
- Exercer un contrôle administratif et contractuel sur les éléments généraux de la gestion.
- Vérifier que le patrimoine public est correctement entretenu et renouvelé, en disposant des éléments détaillés de ce bilan (programmes de maintenance et d’entretien).
- Donner un avis ou valider les programmes d’investissement.
- Associer les assemblées délibérantes aux résultats du contrôle de la concession.
Ce que l’AODE ne peut pas faire :
- S’immiscer dans l’organisation interne du concessionnaire (gestion du personnel, méthodes de travail, procédures internes).
- Imposer le choix de matériels, de fournisseurs ou de prestataires.
- Décider de la planification détaillée des interventions (maintenance, élagage, chantiers…).
- Orienter les moyens opérationnels utilisés pour atteindre les objectifs (outils, techniques, organisation des équipes).
- Substituer son action à celle du concessionnaire dans l’exploitation quotidienne du réseau.
En bref, l’AODE contrôle les résultats, mais ne s’immisce pas dans la manière dont son concessionnaire s’organise pour les obtenir.
Une ligne floue et une source de tension
Sur le terrain, la situation est souvent plus compliquée.
Il n’est pas rare qu’une Autorité Organisatrice se heurte à un refus de communication d’information de la part d’Enedis, qui invoque « la gestion de l’exploitation ».
Or, la frontière est fine. Par exemple, Enedis peut refuser de communiquer le planning exact des chantiers d’élagage, considérant cela comme une décision opérationnelle. Mais le bilan des chantiers réalisés, lui, doit pouvoir être contrôlé, car il influe directement sur la qualité de service !
C’est souvent là que le dialogue se grippe.
Leçon à retenir pour les collectivités
Pour les élus et les techniciens, il est crucial de bien comprendre cette limite :
-
Se concentrer sur la traçabilité des résultats et la conformité du service rendu.
-
Exiger du concessionnaire les indicateurs de qualité et les rapports d’activité prévus par le contrat.
-
Utiliser leur cahier des charges, leurs annexes techniques et les rapports annuels comme vos principaux outils de contrôle.
La phrase « ne pas intervenir dans la gestion de l’exploitation » ne doit pas être interprétée comme une liberté totale laissée au gestionnaire de réseau. Elle trace la frontière des compétences afin de garantir la bonne exécution du service public et d’éviter toute immixtion dans les prérogatives du concessionnaire.
Le bon équilibre est celui où l’AODE contrôle que les objectifs du service public sont atteints, tout en laissant le concessionnaire libre d’utiliser ses propres méthodes pour y parvenir. Clarifier cette distinction est la clé d’un partenariat transparent et efficace au service des citoyens.